A lifetime ago | Ft. Olan

Tu ne t'attendais pas vraiment à recevoir une invitation de la sorte. Un vieux pote du lycée s’était décidé à organiser une soirée de retrouvailles pour fêter ses fiançailles avec sa petite amie du lycée. Tu ne te croyais pas si proche de lui, mais bon, puisqu’il t'a invité tu t’étais un peu forcé à faire acte de présence. Déjà, en arrivant, les quelques visages que tu reconnaissais ne semblaient pas te reconnaître. Il est vrai que depuis le lycée tu as bien changé, tu as pris en masse, et même mentalement tu es devenu un autre homme. Tu prends quelques nouvelles des gens qui sont présents mais le fait est que tu n’as pas grand chose à leur dire. Tu te retrouves vite à te faire chier, une bouteille de bière vide à la main. Tu soupires, si tu t’éclipse est-ce que ça va se remarquer? Tu retournes à la cuisine pour poser ta bouteille vide, sur ton chemin tu bouscules accidentellement quelqu’un qui était en train de se servir au comptoir.

“Oops, Pardon!”

Tu t’excuses comme un réflexe, et quand l’homme que tu viens de heurter se retourne, tu reconnais vite ce visage. Un mec de ta promo que tu n’appréciais pas franchement outre mesure. Le genre de gars avec qui tu ne trainais pas, parce qu’être vu avec d'autres gens que les autres gosses de riches, ça aurait été mal vu. T’étais plus du genre à avoir des remarques déplacées sans plus de raison que ça. T’étais pas particulièrement intelligent à l’époque, et tu pensais sincèrement que marcher sur les autres était une façon d’affirmer ta force. Finalement, t’es quand même plus fier de ce que tu es maintenant, que ce que tu étais à l’époque.

“Ilan c’est ça?”

Tu crois te souvenir de son nom, en tout cas ça te parait être ça dans tes souvenirs qui commencent tout de même à remonter.

Il y a quelques années jamais je n'aurai été invité à ce genre de fêtes. C'était totalement interdit au non riche et surtout à ceux qui n'était pas "populaire". Ce n'était pas comme si j'avais eu envie de m'y rendre et de passer mes soirées à devoir côtoyer des personnes au QI pas vraiment très élevé. Même maintenant, ce n'était pas ma tasse de thé. J'aurai nettement préféré être en train d'étudier chez moi que de devoir supporter la musique à fond. Le seul point positif c'était le buffet et les boissons gratuites. J'avais encore toujours la manie de succomber à ce qui était gratuit, même si j'avais maintenant l'argent pour subvenir à mes besoins. Enfin, celui de mon oncle plus exactement. J'avais pensé à me trouver un job mais avec mes études c'était compliqué. Et puis j'avais aussi passé un deal avec Ricky de me consacrer entièrement à l'université, et de ne pas penser au reste. Cela ne m'empêchait pas pour autant de culpabiliser à profiter de cette famille que j'avais connu dans mon malheur. Alors qu'à cette époque je pensais être seul et devoir continuer à avancer, à souffrir, la vie avait doucement commencé à me tendre la main. J'aurai survécu, je n'étais pas du genre à me laisser abattre, mais cette opportunité m'avais permis de souffler un peu. Si en contrepartie je devais aller à des soirées ennuyantes de temps en temps, ce n'était pas grand-chose. Être l'ami d'un ami, c'était parfois compliqué. Je n'étais pas venu seul à la base justement, avec ce fameux ami qui était parti je ne savais où. Surement à la recherche d'une bonne compagnie. Pourtant il m’avait promis de rester avec moi lorsqu'il m’avait supplié de venir. Comme d'habitude, j'étais encore tombé dans le panneau des promesses. Jamais tenus mais assez con pour espérer qu'elles le soient. Soupirant, je me versais un deuxième verre de vodka avant de me faire bousculer par quelqu'un.

- Hé ! Fais attention !

J'avais failli en mettre partout, alors que je me retournais pour continuer à faire une leçon de moral. Je m'étais arrêté en faisant face à un visage que je ne pensais pas croiser depuis le lycée. Min-Jun Kim. L'une des fameuses personnes faisant partie des "populaires", et qui crachait sans aucune raison sur les gens comme moi. Forcément, je ne l'avais jamais apprécié et avec le temps j'avais fini par même l'enterrer sous un tapis avec le reste. Ce n'était pas forcément douloureux, à force les remarques et les insultes ça avaient fini par glisser sur moi. Je ne pouvais pas dire que c'était le cas pour les autres victimes de ce harcèlement malheureusement.

- Olan.

Corrigeais-je, pas du tout étonné qu'il se soit trompé. J'étais plutôt surpris qu'il ait fait l'effort de se souvenir de mon nom. Alors que durant tout ce temps au lycée, c'était par des adjectifs pas du tout flatteur que j'avais été nommé.

- Tu n'es pas avec ta clique ?

Je pensais que dans son monde, c'était obligatoire de devoir se coltiner ses potes riches jusqu'à la mort. Cependant, Min-Jun était la seule tête que j'avais reconnu dans l'assemblée.

Ta clique, tu hausse les épaules, tu as perdu le contact avec la plupart de tes amis de lycée, ce qui avait rendu cette invitation d’autant plus surprenante. Certains ne te manquaient pas le moins du monde, pour dire vrai, tu te fichais largement de ce qu’ils étaient devenu, le temps à bien fait le tri. Tu ne t’inquiètes pas vraiment du passé outre mesure, tout ce qui compte pour toi, c’est d’avancer dans la voie qui te plaît, le chemin que tu choisis, au lieu de suivre celui que t’avaient pavé tes parents avant de le réduire à néant. Tu prends note pour son prénom… même si tu n’en était pas loin.

“Pas vraiment… Les gens ont changé, j’ai l’impression de ne connaître personne.”

Ou c’est juste toi qui t’es métamorphosé ces dernières années et tu n’arrives plus à jouer le jeu. C’est une possibilité, après tout, maintenant les amis qui sont encore proches de toi sont ceux qui t’ont soutenu quand ta famille t’as lâché, et ils ne sont pas si nombreux. Ton coming out forcé à aussi pas mal fait le tri dans tes amis. Beaucoup se sont distancés de toi, et toi tu as coupé les ponts… Si ça les gênes ne serait-ce qu’un peu d’avoir un ami gay, c’est qu’ils ne te méritent pas comme ami.

“Qu’est-ce que t’es devenu?”

Tu demande par politesse, comme tu l’a fait avec les autres, mais bizarrement, la réponse d’Olan t’intéresse un poil plus que les pimbêches que tu as croisé plus tôt. Tu te souviens qu’il n’était pas parmi les mieux loti et les études, ça coûte une blinde. C’est en partie pour ça que tu n'as pas essayé de continuer les tiennes. Et puis aussi parce qu’au final, ça ne t'intéressait pas tant que ça, est tu es très bien là où tu es, tu as trouvé ta place.